Manque de validité empirique, rôle central de la sexualité, manque de représentativité et généralisation, manque de cohérence théorique, simplicité de la théorie du déterminisme psychique, longue durée des traitements psychanalytiques, etc. La psychanalyse a été / est fortement critiquée depuis des années. Voici les éléments en faveur de celles-ci, dans notre époque, culture et société.
Lebreton explique[21] que les individus ont aujourd’hui beaucoup plus de choix et de liberté qu’auparavant, mais cela s’accompagne de l’obligation de prendre des décisions et d’en assumer la responsabilité. Prenons l’exemple de l’évolution de la position de la femme dans la société. L’égalité des sexes, les progrès médicaux ainsi que la contraception ont modifié le concept du « désir d’enfant ».[22] Mais la société impose une certaine pression pour assumer la responsabilité de ce choix. Cela peut générer des angoisses liées à la peur de l’échec et de l’exclusion. Le burn-out du travail et le burn-out familial sont des maladies de notre société moderne et sont un véritable fléau grandissant, né de ce nouveau mode de fonctionnement.
Claire Pagès[23] ajoute que le contexte social actuel est tellement exigeant qu’il provoque de la fatigue, de l’épuisement, de la confusion, du stress et une incapacité à agir chez les individus. Au lieu de causer une névrose comme c’était le cas auparavant, cela entraîne maintenant une dépression chez les personnes qui y sont confrontées. Ainsi, ce n’est plus le refoulement qui est responsable des troubles mentaux, mais plutôt l’épuisement qui découle de la surcharge et de la pression imposée aux individus.
Dans le livre « La fabrique du crétin digital »[24], M. Desmurget critique les effets négatifs de la technologie et des médias sur les enfants et les adolescents et il dénonce l’utilisation excessive des écrans par les jeunes. Cette pratique entraîne des problèmes au niveau de la santé physique, émotionnelle et cognitive chez les enfants, tels que l’obésité, l’agressivité, la dépression, le développement du langage, l’hyperactivité et la concentration. Nous vivons dans un monde où règnent les technologies, les écrans, l’intelligence artificielle, dans un monde où les médias diffusent 24h/24 des nouvelles négatives du monde, créant de l’anxiété permanente, et où la violence est de plus en plus accrue et la sexualité de plus en plus présente. Un autre point important est que S. Freud considérait la femme comme une énigme et était souvent associée à un « continent noir ».
Dans son livre « Vers une psychanalyse émancipée »[25], L. Laufer explore les concepts de la psychanalyse à la lumière des problématiques de genre et des mouvements féministes. L’autrice remet en question les discriminations de genre qui peuvent exister dans la théorie et la pratique psychanalytiques, et propose une approche plus égalitaire et inclusive. Laufer examine les influences historiques et culturelles sur la psychanalyse, en soulignant les limites des idées freudiennes concernant la sexualité et le développement psychique des femmes. Les psychanalystes féministes critiquent le monisme libidinal masculin et le phallocentrisme, remettant en question les stéréotypes dépassés liés à la féminité. Elles remettent en cause le concept de castration et explorent les formes d’oppression et de discrimination auxquelles les femmes sont confrontées. Le livre met en évidence les obstacles au développement psychique des femmes dus aux normes sociales et au patriarcat, tout en proposant des pistes pour une psychanalyse plus émancipatrice.
Jean-Pierre Lebrun quant à lui explique[26] que le désir d’inceste est important dans notre culture car il est à la base du désir, mais il nécessite une renonciation pour que l’enfant devienne un sujet indépendant. Cependant, de nos jours, l’interdit de l’inceste est de moins en moins évident, en raison de la délégitimation des figures d’autorité, notamment celle du père, et de la promotion de l’égalité « illimitée ». Cela entraîne comme conséquences de nouvelles pathologies, notamment les addictions.
Pour terminer, Ch. Melman et J.-P. Lebrun[27]expliquent que la société est en mutation, passant d’une économie basée sur la répression des désirs et la névrose à une économie de la jouissance et de l’expression libre des désirs. Cela crée une crise des repères, notamment en ce qui concerne le rôle du père, qui a perdu son autorité et sa fonction de référence. Les différentes instances psychiques, telles que le sujet et le moi, subissent également des conséquences. Le surmoi fait défaut et le moi se retrouve fragile et sujet à la dépression, car il n’a plus de référence solide pour affirmer sa valeur. La reconnaissance sociale devient primordiale, et en l’absence d’une instance idéale, le moi dépend du hasard et des circonstances. Dans un monde où la liberté d’expression totale semble éliminer le besoin de refoulement, l’inconscient pourrait sembler perdre sa place. Les identifications symboliques et les rituels de passage disparaissent également. L’objet de jouissance devient le point d’ancrage central. Dans cette « nouvelle économie psychique » décrit par Ch. Melman, l’objet se trouve dans la réalité plutôt que dans l’inconscient, ce qui pourrait entraîner un désinvestissement de ce dernier. Contrairement à la croyance habituelle, l’inconscient dans la « nouvelle économie psychique » ne représenterait plus la persistance de l’infantile en nous. À sa place, il ne resterait rien. La particularité réelle de cette économie psychique est que l’infantile se manifeste uniquement sous la forme d’un attachement au réel. Le travail avec ces individus risque de devenir similaire à celui réalisé avec des enfants, comme des psychanalyses d’enfants. Plutôt que de favoriser l’association libre et de laisser la chaîne des signifiants se dérouler, il semble maintenant nécessaire de procéder « par soustraction ».[28]
La question concernant le travail du psychanalyste confronté à ce type d’individu a par ailleurs été soulevé durant les séminaires sur « L’homme sans gravité, aujourd’hui » organisés en 2023 par l’Association Lacanienne Internationale en relation avec le livre de Ch. Melman. Ces séminaires contribueront à la préparation d’un congrès international sur la clinique contemporaine en juin 2024. Selon Th. Roth[29], les névroses semblent bien avoir diminué, mais cela s’est fait au détriment d’autres problématiques telles que la dépression, l’addiction, le sentiment de victimisation et les traumatismes. « L’errance subjective » tend ainsi à prendre le relais des conflits internes.
« Au malaise dans la civilisation s’est donc ajouté un malaise dans la subjectivation, le deuxième n’atténuant aucunement le premier. La psychanalyse, pourtant pratique centrée sur le sujet, y a d’ailleurs malgré elle contribué. Quelles nouvelles réponses va-t-elle pouvoir inventer face au nouveau malaise ? »[30]
Bien que parfois controversées[31], les théories freudiennes sont le fondement de la psychanalyse. Freud a eu de nombreux disciples[32] (A. Freud, A. Adler, G. Groddeck, S. Ferenczi, etc.) et de grands noms de la psychanalyse se sont inspirés de ses travaux pour établir de nouvelles théories, à l’instar de C.G. Jung, M. Klein, J. Lacan, F. Dolto, D. Anzieu, etc. Certes, les théories freudiennes sont le fondement des théories psychanalytiques mais celles-ci doivent être remises en perspective au regard de l’évolution du contexte dans lequel nous vivons. La psychanalyse est une discipline qui ne devrait jamais cesser d’évoluer car elle est intrinsèquement liée à l’évolution d’une société en perpétuelle recherche d’efficacité et d’évolution:
« Car si la psychanalyse, telle que l’a conçue Freud, est aujourd’hui une méthode désuète, elle n’en demeure pas moins une pratique fondatrice. Il faut conserver la psychanalyse dans son esprit, mais la faire évoluer dans ses principes et dans ses méthodes. »[33]
[21] Lebreton E., La Psy’Action : la psychanalyse du 21ème siècle, Edition Orient’Action, 2018
[22] Bydlowski M., Les enfants du désir, Odile Jacob, 2008
[23] Pagès C., Un noyau rationnel de la psychanalyse ? Crise, critiques et résistance, https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2011-1-page-31.htm
[24] Desmurget M., La fabrique du crétin digital, Edition Seuil, 2019. 0,7%
[25] Laufer L., Vers une psychanalyse émancipée, La Découverte, 2022
[26] Lebrun J.-P., Les couleurs de l’inceste, se déprendre du maternel, Denoël, 2019
[27] Melman Ch., L’homme sans gravité, jouir à tout prix, Folio Essai, 2005
[28] la soustraction consiste à retirer certains éléments, à restreindre ou à éliminer certaines interventions de l’analyste. L’objectif est de créer un espace dans lequel l’enfant peut exprimer ses pensées, ses émotions et ses fantasmes de manière plus directe et spontanée, sans être influencé ou dirigé par l’analyste.
[29] Thierry Roth, président de l’Association Lacanienne Internationale
[30] Roth Th., Du changement dans le malaise, article A.L.I, 15 juin 2023
[31] Pour ne citer que quelques livres : Dock S., Éloge indocile de la psychanalyse, Philippe Rey, 2019
Onfray M., Le Crépuscule d’une idole, Le livre de Poche , 2011
Borch-Jacobsen M, Cottraux J., Peux D., Van Railler J., Le livre noir de la psychanalyse, Les arènes, 2005
[32] Module psychanalyse, CERFPA
[33] Lebreton E., La Psy’Action : la psychanalyse du 21ème siècle, Edition Orient’Action, 2018, 1%